je marche par tous les temps, parfois je cours, je ne m’arrête jamais jusqu’à trouver un nid pour passer la nuit, je ne sais plus qui je suis ni d’où je viens, par tous les temps j’ai traversé des villes et des campagnes et franchi des frontières jusqu’à me mettre dans cet état, je suis né loin au Nord dans un pays dont j’ai oublié le nom et l’exacte position géographique, un pays ravagé par une sorte de terrible guerre, et j’ai fui en serrant la main de mon père, ma mère elle n’a pas tenu bon, trop de chagrin et d’épuisement sans compter le déracinement et la faim et le froid, j’ai serré fort la main de mon père, il n’y avait que lui pour me tirer vers la lumière et mes petites jambes couraient dans la neige alors que lui marchait sa casquette tirée sur les yeux, à présent qu’il a cédé lui aussi, je marche seul avec tout mon sang brûlant circulant dans un frisson de source et me poussant vers l’avant, tout mon corps porté devant habité par une rage insatiable de vivre, quelques fruits glanés dans les vergers et un quignon de pain me suffisent, à présent que je n’ai plus mon père pour me réconforter je me blottis dans le foin pour trouver le sommeil et je laisse les rêves tourbillonner en moi comme le sang et aussi brûlants que le sang, je n’ai peur de rien, je peux travailler autant que trois hommes réunis, je porte mon corps devant moi et parfois je le laisse danser, partir dans la transe, les gens me jettent quelques pièces d’argent quand je danse pour eux autour du feu, ils perçoivent dans mes gestes funambules l’existence d’une force sauvage et la possibilité d’un autre monde à toucher de la main comme si les étoiles soudain devenaient toutes proches, je marche, je suis ouvrier-saisonnier et propose mes services dans les domaines agricoles que je traverse, je danse pour eux quand ils font de grands feux ou sacrifient des bêtes pour attirer le bon œil, je ne dis rien à personne mais je cherche mon âme-sœur, je sais que je pourrais reconnaître quand je la verrai
un extrait de mon chantier de roman en cours
le portrait de Jude se dessine un peu plus fort et nettement chaque jour…
dans la patience et la force des mots, mon roman « Pays aux 1000 taillis » se construit…
Photographie ©Françoise Renaud, au jardin, janvier 2024
Merci Françoise. C’est très troublant de sentir un texte sortir lentement de sa chrysalide. Un beau texte.
de temps en temps, proposer des fragments de roman en naissance même quand on en ignore encore les articulations…
merci Janine pour ton écho si vif
Hâte de lire la suite Françoise, c’est un bonheur de te lire. Un voyage pour moi aussi à travers la vie d’un autre. Merci !
écrire lire voyager, c’est un peu la même chose…
et puis tellement contente de te savoir dans les parages
Mais qui est il, ton héros qui m’a pris avec lui pour ce beau voyage à travers le temps. Merci de nous inviter à découvrir les premiers écrits de ton futur livre.
Plein de gros bisous ma Françoise
Suite à tes mots, mon imagination se met en route et part sur les pas de ton héros. Alors la grisaille de l’ordinaire s’efface, les soucis aussi et je vois les mots danser et chanter dans ma tête pour un voyage extraordinaire dans le temps et l’espace. Et c’est un cadeau inestimable…
imaginé et pourtant si réel… là dansant sous nos yeux autour du feu…
lire un livre réinvente le réel que l’on côtoie pourtant sans cesse mais qu’on ne parvient pas souvent à entrevoir…
je t’embrasse, Jacqueline fidèle parmi les fidèles
Quelle force dans cette entame, Françoise ! Le personnage tout entier est là, campé dans la maîtrise des mots de cette unique phrase juste ponctuée de quelques virgules jalonnant les étapes déjà franchies, et l’on veut tourner la page pour lire la suite …oh non, il va falloir attendre… L’intérêt est bien éveillé, à très vite, Jude !
sans doute qu’il ne s’agira pas de l’entame, car le personnage ne se révèlera que plus loin, d’ailleurs il m’a été délivré bien après avoir commencé à accumuler des textes qui allaient me conduire à cette histoire
je vais tenter de demeurer en tout cas dans ce fil qui nous tire vers l’intérieur du livre, dans une écriture serrée et intense
merci Chris, ma douce et fidèle
c’est super que tu travailles sur un nouveau roman. Je ne manquerai pas de le lire quand il sera publié. L’inspiration est de nouveau là et tu vas nous émerveiller encore.
Je viens d’écouter le 5ème de Malher. J’adore. Elle m’émeut toujours autant. Elle me rappelle de bons moments passés avec le seul vrai amour de ma vie. Et maintenant c’est la voix d’une contre alto. C’est trop beau.
Ecris encore et toujours mon amie pour nous.
mes chantiers ouverts sont nombreux, certains depuis plusieurs années… je ne sais jamais lequel va émerger en premier, il faut du temps, il faut le temps de la maturation, le temps tout court…
l’émotion est liée à des choses de nous mêmes que nous ignorons, c’est pour cette raison que fréquenter la beauté est indispensable dans nos vies
merci chère et grande amie de Savoie
Quelle énergie et quel courage dans ce texte.
Merci Françoise.
Moi qui ne sais pas marcher seule.
Tes mots me donnent de la force. Hâte de lire la suite et vraiment besoin de lire ce que tu as écrit depuis notre dernière rencontre. Tes livres sont des trésors que je garde précieusement et que je relirai…… J’espère te te revoir bientôt ! Bien affectueusement.
Merci Françoise d’avoir partagé ce beau texte avec moi aussi. Ca me donne à moi aussi l’envie de m’y remettre. Mais ça requiert tant de force et de paix intérieure.
Toujours besoin pour moi aussi d’aller lire les autres, les amis auteurs, les auteurs disparus… source de réconfort et de désir d’écrire encore et d’aller vers l’avant
merci Marie pour ton signe
Merci du partage de ce si beau texte
quelle force, la rage au coeur, la puissance de la liberté …
bien sincèrement.
et si on écrivait toujours sur la liberté pour se rendre chaque jour encore plus libre ?
le geste d’écrire a sans doute ce pouvoir…
merci Odile pour ta présence
Les mots s’imbriquent, les images s’imposent, les émotions colorent ,la force est toujours là avec toi malgré le terrain fragile ….
Et l’on ressent tellement….
le monde sensible est à la frontière des autres mondes
pour le fréquenter il faut écarter le rideau et caresser le chambranle de la fenêtre, alors les yeux s’ouvrent
bien à toi, Marie Claude, que je sais à fleur de peau
te souhaite même élan têtu qu’elle qui porte son corps devant elle
Une écriture sans faille. Un personnage intrigant dont on découvre le pourquoi après des méandres intérieurs bien ancrés dans une humanité à la fois universelle et bornée de sa particularité saisissante, dès les premiers traits. (J’ai pensé à Lennie Small). Je m’attache déjà, en quelques lignes, je sais que je ne quitterai pas cette silhouette, les pages vont se tourner, « tourbillonner en moi comme le sang », c’est sûr.
Porter son corps devant soi, tu as toujours des morceaux de phrases, des assemblages de quelques mots qui eux-mêmes portent le texte, porte l’édifice en construction. C’est très beau et on a hâte de le tenir en format livre. Il y a de l’incantation dans la langue que tu as choisie pour ce personnage, pas étonnant qu’il danse.
Un texte en construction si fragile si beau et ces mots qui courent encore dans la tête. Merci pour ce cadeau