rien à faire d’autre sinon continuer à creuser, respirer, réunir les fragments de désir dispersés et partagés sur les interfaces de partage qui permettent de pousser plus loin le curseur, continuer d’explorer les remous de la mémoire intime — événements doux ou rugueux, souvenirs de cours de récréation, animaux fréquentés dans l’enfance, envies de mer, de niches entre les rochers, réunions de famille (pas envie d’y aller, pas envie de mettre une robe), mécontentements du père, murs du jardin fissurés, petites voitures et soldats dans le sable à faire courir dans les pistes fabriquées par mon frère, babioles très vieilles au grenier, livres de contes en lambeaux, ours râpé, indifférence des gens, seulement la mer en récompense toujours folle et verte et profonde aux abysses effrayantes —
la mémoire intime serait creuset pour l’écriture
j’attrape mon livre de lecture du jour
je lis et relis : « Les fractures dessinent dans la matière même son histoire et les coutures témoignent de son honneur d’avoir été cassé. » (Kintsugi, Isabel Gutierrez, La fosse aux Ours, 2024)
il est question là d’un bol rafistolé, ce qui me ramène au corps et me propose de répertorier mes propres fractures, coutures et cicatrices visibles ou non, d’envisager chaque accident comme une aventure, je me dis : « Vivre la continuité de la vie, d’île en île avec ou sans bateau », fractures dont les consolidations approximatives dessinent des sillons sur la peau froissée, des zones de compression, et créent des douleurs passagères, aiguës parfois, fractures et autres blessures dont on se demande toujours si on va s’en relever, pouvoir marcher comme avant, retrouver le doux flux naturel des choses, et on y parvient oui, on s’en remet à la fluidité intérieure, au pouvoir des nuits de lisser les mauvais rêves et d’éloigner les obsessions, on s’en remet à cette force invincible et durable qui occupe les failles du corps et le ventre depuis le sortir de l’enfance, une source qui permet de poursuivre sans conditions, combattre l’ombre et le découragement, se protéger des vents glacés des hivers
(work in progress)
Photographie Françoise Renaud, ‘sauge et coriandre’, mai 2024
merci de trouver les mots que j’aurais…
franchement j’ai hésité à publier, je doutais du texte et de sa cohérence…
merci d’être passée à tes heures perdues !
J’aime énormément ce texte. Avec un gros cœur plein d’enfant grande.
Constat d’un fleuve pas tranquille mais animé avec la mer en récompense ou rugueux comme un bol rafistolé.
Je répercute : ta mémoire intime est creuset pour l’écriture (j’aime beaucoup) de même que vivre la continuité de la vie.
Je ressens le poids des aléas et la source pour poursuivre sans conditions. Bien à toi.
Histoires de fractures… tant de mots à dire pour que tout ça se ressoude
Et la beauté qui se cache dans toutes les imperfections et tous les accidents de la vie… qui laissent traces sur nos peaux, dans nos corps et au delà dans ces petits riens qui troublent nos sommeils de rêves oubliés. Alors tu vois tu portes la beauté du monde que tu décris si bien.
la beauté oui, mais aussi parfois la douleur
ce qu’endurent les humains en certains coins de la terre nous rentrent des aiguilles sous les ongles et nous révoltent… on voudrait tant qu’il n’y ait que la beauté…
Tu as trouvé les mots qui décrivent bien le ressenti.
Parce qu’il n’y a pas que la beauté… merci pour ce texte sensible, qui me parle si fort.
Quelle belle idée tu as trouvée ! Surtout cette exploration à travers tes mots, sans pareil pour dire le corps, les failles et toujours la force qu’il trouve malgré tout. Combien j’aime te lire, Françoise, au risque de me répéter !
La citation tirée de « Kintsugi » avait sauté et c’est elle qui m’avait entraînée là-dedans ! je suis désolée pour les premiers lecteurs…
mais tout est rétabli, le texte redevenu plus compréhensible
oui le corps, la force qu’il faut, c’est toujours ces litanies à se répéter et explorer sans cesse…
fractures douleurs certes mais guérison heureusement, grâce à la force de vie en chaque être qui nous tient et nous soutient
par tes textes tu nous entraînes dans la tienne et nous donne un grand espoir en elle
merci ma toute belle
Ecrits toujours aussi merveilleux. Tout à fait ce que je ressens en ce moment mais que je n’aurais pas su aussi bien exprimer.
« vivre la continuité de la vie, d’île en île, avec ou sans bateau ».
« combattre l’ombre et le découragement »
Merci Françoise
Merci à toi d’avoir franchi le pas du commentaire…
le partage est comme une récompense après l’écriture solitaire
oui, cette idée, cette image de naviguer d’île en île surgie au détour du paysage
et il n’y a pas de ponts ni de passerelles pour se relier entre elles… d’où l’imprévu du parcours, le risque, le naufrage…
Nous sommes toutes et tous des bols cassés ou ébréchés, que quelqu’un.e ou quelques un.e.s, parfois nous-mêmes, on su « rafistoler »,remembrer, comme ces poteries antiques de fouilles que l’on trouve dans les musées, il y a même des bols, qu’on casse exprès pour les resouder avec de l’or en Japon, comme si les cicatrices étaient plus belles que l’apparence lisse et neuve de la poterie initiale.
C’est tout l’art de la cicatrice que j’ai trouvé dans un beau livre de Jeanne Benameur : La patience des traces… « Psychanalyste, Simon a fait profession d’écouter les autres, au risque de faire taire sa propre histoire. À la faveur d’une brèche dans le quotidien – un bol cassé – vient le temps du rendez-vous avec lui-même. Il lui faudra quitter sa ville au bord de l’océan et l’île des émotions intenses de sa jeunesse, s’éloigner du trio tragiquement éclaté qui hante son ciel depuis si longtemps. Aussi laisser derrière lui les vies, les dérives intimes si patiemment écoutées dans le secret de son cabinet.
Ce sera un Japon inconnu – un autre rivage. Et sur les îles subtropicales de Yaeyama, avec les très sages et très vifs Monsieur et Madame Itô, la naissance d’une nouvelle géométrie amicale. Une confiance. À l’autre bout du monde et au-delà du langage, Simon en fait l’expérience sensible : la rencontre avec soi passe par la rencontre avec l’autre.
Jeanne Benameur accompagne un envol, observe le patient travail d’un être qui chemine vers sa liberté dans un livre de vie riche et stratifié : roman d’apprentissage, de fougue et de feu ; histoire d’amitié et d’amour foudroyés ; entrée dans la complexité du désir ; ode à la nage, à l’eau, aux silences et aux rencontres d’une rare justesse. »
Merci pour nous diriger vers Jeanne Benameur, une langue fine et forte…
et ce lien avec le Japon bien sûr, avec les bols réparés exprimant leur propre histoire
merci pour cet approfondissement qui vient creuser là où il faut et nous guider vers des zones libres
Oui toute ces brisures de soi qui se rassemblent quand on écrit. En accord avec les textes que tu déposes ici ou là et qui font écho.
Merci pour ce signe qui établit de nouvelles passerelles
merci Solange
Quelle finesse cette écriture qui accole fissures, mauvais songes et souvenirs irrattrapables. La fracture c’est la machine qui la fait, son curseur électrique, ses mots durs (les mots collés plus solides que les mots.) Ah Françoise comme il m’est bon de te lire ici dans cette lente installation lointaine.
Tes mots « collés ensemble » pour être plus solides que des mots simples
Tes mots qui rejoignent les miens, se mêlent, et donnent ainsi à voir et comprendre plus largement…
merci pour ta longue fidélité, Pascal
Partage d’émotions anciennes ou de leur redécouverte, toujours aussi habile et magnifique de justesse.
Merci de nous emporter ainsi, douce Françoise !
Nos âmes sensibles en accordage, merci