dérouler un nouveau fil
inventer une nouvelle histoire
peut-être raviver un ancien récit que j’aurais repoussé pour un temps pour je ne sais quelles raisons (ou plutôt si, je connais parfaitement ces raisons : le doute, les circonstances, la déception, le manque de concentration, le questionnement sur l’art, son utilité ou inutilité, enfin ce genre de choses), le poser sur la table comme pour le laisser respirer et commencer à puiser simplement dans les images qui affleurent au seuil du sommeil ou juste avant le réveil, signes de cette vie invisible qui s’agite à l’intérieur du cerveau et façonne des univers en dehors de notre volonté, vie turbulente, vie composée d’expériences accumulées, de sensations physiques, de rêves et de jours entiers d’écriture
et voilà que je suis en train de marcher dans une ville déserte ou dans un pays sans arbres, je me demande ce que je fais là, j’ai froid j’ai chaud, les deux en même temps, je perçois des bruissements de feuillage et des cris d’animaux, pas de peur, seulement de l’inquiétude à cause des espèces vivantes au voisinage (certaines menaçantes) et ce projet de marcher pour arriver quelque part, peut-être pour rejoindre d’autres comme moi qui ont marché en suivant des vallées sinueuses ou des lignes de crête hasardeuses — au fait d’où venait cette idée au départ de se déplacer jusqu’à rencontrer d’autres clans à l’occasion d’une équinoxe, moment d’alignement particulier des planètes ? je ne m’en souviens plus, mais à présent c’est comme une évidence —, d’autres comme moi qui ont voyagé par les sillons de la terre jusqu’à rencontrer d’autres êtres vivants, jusqu’à se frotter, se croiser
et voilà que mes personnages délaissés s’agitent en moi — Olaf, Erika, Waralin —, eux marchent comme s’ils savaient où ils allaient, je les visualise et tente de comprendre — Olaf priant dans la forêt de Syvde, Erika pleurant la mort d’Olaf, Waralin le courageux —, de les construire, les inspirer, percer leur destin
mais je ne veux pas les influencer
ils nourrissent mon vide, mon jour, ils bougent derrière mon front dans ma tête dans mon corps qui est en train de marcher sous des latitudes tempérées (celles que je connais bien parce que j’y suis née), et même plus au Nord dans des forêts composées de feuillus et de cèdres avec des bêtes à l’entour et dans le cœur de la forêt et dans le vivant de mon corps, je ne suis pas seule, mes personnages sont faits d’un alliage complexe — j’ai du pouvoir sur eux mais je refuse d’en user, ce serait transformer la matière des mots, les ruiner de leur résonance profonde —, surtout ne pas les perdre de vue, emprunter leur sillage sans qu’ils s’en aperçoivent, au moment opportun tendre la main vers eux ou alors jeter un caillou dans les broussailles pour voir s’ils vont se retourner et montrer leur visage, un visage d’écorce issu des mondes d’avant, hérité des générations d’hommes qui les ont précédés, forgé par les pertes qu’ils ont subies en biens, les deuils, les pluies torrentielles, les disettes jusqu’à ce que l’obscurité quitte le ciel et que la beauté s’empare des arbres et des pierres tout au long du jour, jusqu’à ce qu’ils s’asseyent autour du feu et contemplent la course bien réglée des planètes
alors je pourrais écrire les pages suivantes
je suis confiante comme un agneau qui vient de se dresser sur ses pattes fragiles et qui cherche la chaleur de sa mère
Photographie : Wes Carpani, Unplash
Tu nous fais passer derrière le rideau de l’auteur, dans l’intimité de la gestation et c’est très émouvant. Cette humilité face aux silhouettes qui vont se nourrir de ta verve, comme grandissent les enfants avec le lait premier de l’amour. Personne ne se souviendra de cette charnière, charnelle et tant plus, indispensable pour engendrer l’histoire…
Nous livrer tes doutes et puis cette confiance qui revient parce que dans l’espace infini tu as rencontré un nouvel esprit… C’est tellement beau..
Merci à toi.
Je viens de trouver ton texte… Souvent quand je te lis je me demande mais où trouve t elle tout cela? ces univers …ces personnages… Je pense avoir aujourd’hui une partie de réponse… Écrire n’est pas une mince affaire…
Bernard Ollivier écrit « La longue Marche » c’est notre vie composée d’expériences accumulées, de rencontres dont certaines très marquantes par les chemins avec l’envie d’aller voir au-delà des crêtes mais aussi la peur de ne pas réussir. A l’occasion d’un parcours une image du passé surgit, nous nourrit, nous rajeunit, une impression de déjà vu et cependant en des lieux bien différents.
Le doute la crainte l’espoir, tout cela c’est vivre…
Le 18 mai 2019, déjà, Erika, Olaf et Waralin existent. Qui sont-ils? Des dieux scandinaves en route pour le Walhalla? Des caractères du Seigneur des Anneaux? En fait, je m’en fous, la seule chose qui m’intéresse est que tu les fais vivre, ils ont une réalité et c’est bien le plus important. Respect à toi!
Si on les laisse faire, nos personnages s’agitent d’une vie propre, et c’est eux qui nous conduisent. Sans doute faut-il s’abandonner et lâcher prise, et les laisser aller suffisamment longtemps loin, de nous, et parfois du projet initial, pour que le livre en devenir prenne vie, lui aussi.
Chut, ne rien dire… juste te laisser tirer le fil de l’imaginaire retrouvé et attendre le résultat comme l’agneau attend le lait de sa mère… Avec confiance et AMOUR. Jacqueline.
Ne jamais tout dire, c’est tout dire.
Quel étrange promenade immobile que l’écriture.
J’aime te lire Françoise.
Voyage immobile, les personnages imaginaires qui marchent sur les crêtes continuent leur chemin au-delà des rencontres, on les suit, on les découvre et tu nous procures l’aventure dont on attend toujours la suite dans cette nature imagée.
Toujours un plaisir de te lire, merci Françoise