rien n’a changé au dehors, même rumeur de l’eau, même lumière qu’hier
je n’ai pas mis la radio ni la télé, je préfère lire, j’attrape sur la table La panthère des neiges de Sylvain Tesson (livre commencé il y a deux jours), en sa compagnie je me mets à l’affût, cherche la bête sur le flanc de la haute montagne, épie les reflets de pelage à travers les rocs, les canons argentés, les pentes en ruine, les versants gelés, je quête l’infini dans cet instant offert à la bousculade des pensées et qui pourtant sans cesse s’élargit et s’écoule pour constituer la matière de l’attente, soudain je crois la voir installée au cœur du paysage glacial, oui là-bas sur l’autre versant elle somnole à l’abri d’une terrasse de roche comme lovée sur sa propre chaleur, elle lève la tête, hume l’air froid, fille et reine souveraine en son immense territoire gelé, je voyage à 4500 m d’altitude et je sens le vent et l’odeur de silex, sa silhouette fauve et magnifique en repos dans mon champ de vision, je ne la lâche pas dans ma lunette d’observation, j’attends qu’elle se déploie et coule dans le décor, ondulante, majestueuse, apte à perpétuer sa lignée, sa silhouette finissant par se confondre dans ma mémoire pareille à une scène géante peuplée de vies animales, d’arbres touffus, de souffles et de murmures, aussi d’événements minuscules enfouis depuis le commencement qui ont forcément contribué à mon éveil
dans cette géographie grandeur nature je berce la bête fauve et solitaire dans mon rêve, elle devient le poème incarné
vieille de cinq millions d’années elle détient en son corps tous les visages
le sommeil de ma prochaine nuit bercera encore la vision d’elle nonchalante
Oui ça ressemble à un rêve et je t’ai suivi dans ton parcours
J’ai vu le paysage glacial et cette bête, féline et sauvage se cacher dans ce décor que tu as planté pour nous.
Et moi, mon regard s’attarde sur le chat mi sauvage qui traverse le jardin le corps à l’affut des oiseaux qui s’égaillent dans le pommier du japon en fleur…Pfitt, une envolée salvatrice les éloigne du danger… Vexée La Mounette s’étire, traverse la route et se poste immobile devant le mur chaud où une fente recelle quelques proies moins volatiles. La beauté là, tout près, comme une réplique de celle que tu lis en compagnie de Philippe Tesson et de sa panthère des neiges
J’ai l’impression que depuis que notre vie s’est recluse et rétrécie dans ses libertés, les rêves la nuit ont tendance à prendre les couleurs et la richesse du réel, comme s’ils compensaient cette aridité en nous offrant des plages de liberté, de rencontres, de péripéties plus éclatantes que d’habitude.
La panthère des neiges est un écho à la grâce féline que tu dégages (c’est tout à fait sincère). Belle métaphore aussi de ton indépendance et de ta droiture.
Et j’ai envie de poursuivre ; c’est cette animalité que nous redécouvrons en ce moment et qui nous fait peur. Nous préférons être dans des discours lénifiants pour ne pas voir que la nature reprend ses droits. N’en ayons pas peur, ne cherchons pas à la dominer mais réapprenons à vivre avec elle…
PS: C’est le prochain livre sur ma table de nuit, jolie synchronicité !