falaise sans fin (10)

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Ils empruntèrent une passerelle branlante sur un bras de torrent, puis un raidillon suivi d’une descente bordée d’arbres aux feuillages vernissés. Le soleil s’amenuisait, habillant les cimes d’un ruissellement doré. Toujours sous la menace de l’arme et portant le corps geignant de Mermel, ils abordèrent bientôt un vallon qu’on ne pouvait soupçonner en cheminant le long des rives.
Là, quelques maisons regroupées sur la pente offerte au sud. Des animaux en pâture, un peu plus haut.
Accroupie près d’un banc de pierre, une femme semblait guetter leur venue.

Elle était vêtue d’une robe en cuir, pièces cousues et consolidées par endroits avec des lanières. Jeune, yeux clairs. Dans l’échancrure de la robe, on devinait la beauté de sa peau.
Elle semblait trier des graines dans un bol. Ou alors des petites baies noires.

 

C’était si étonnant de la voir là, dans cet état nonchalant, adonnée à une activité paisible, qu’ils en avaient oublié le chasseur et le fusil. Ils avaient aussi oublié leur fatigue et ils continuaient à avancer vers elle comme aspirés par l’aimant de ses yeux et le velouté de ses bras pareil à une promesse de résurrection. L’espoir les fouettait au visage.
L’espoir d’être bien traités. Nourriture et repos.
L’espoir d’être soignés. De retrouver une vie normale.
Car s’il y avait des femmes, ça voulait dire qu’il y aurait moins de violence et davantage de compassion. Ça voulait dire aussi que le village pouvait abriter des familles avec des enfants, des jeux, des rires. Un peu comme chez eux, dans ce pays du nord qu’ils avaient quitté depuis de nombreux jours, quand la douceur de l’air revenait après les longs hivers ou le soir quand ils se réunissaient autour des feux. Et s’il y avait des troupeaux, ça voulait dire qu’il y aurait de quoi manger et que les hommes qui gardent les bêtes sont toujours plus humains que les autres.
Là-dessus le chasseur cria quelque chose – sans doute le nom de la femme. Et elle se leva, fine et majestueuse, sans effort – en cet instant ils surent qu’elle portait un petit – et disparut dans la maison proche.

Riks et Clod voulurent déposer leur fardeau sur le seuil, mais ils comprirent aux petits coups répétés contre leurs nuques qu’il leur fallait la suivre, entrer à leur tour. Le chasseur resta dehors, assis sur le banc. Continue reading →

falaise sans fin (9)

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Le bougre. Il les tenait en joue.
Pas question de faire les idiots. Seulement montrer sa bonne volonté, donner l’impression de se soumettre en attendant de savoir de quoi il retournait exactement.

 

Parvenu à leur voisinage, il s’était mis à décrire autour d’eux une sorte de cercle, pas à pas, tout en les dévisageant dans le détail. En même temps il grimaçait, tordait sa bouche. Pour sûr il se méfiait des étrangers et il n’était pas prêt à s’en laisser conter. Mais tant qu’il les tenait sous la pointe de son arme et qu’il les obligeait à baisser le regard, il était tranquille. Il respirait leurs odeurs. Mais on sentait chez lui une certaine dose d’hésitation. Parce qu’il se demandait d’où ces types-là pouvaient bien venir, fagotés comme ça, avec de drôles de couteaux à la ceinture et des outres fabriqués d’une façon qu’il ne connaissait pas.
Bientôt il commença à les frapper à l’épaule avec le canon de l’arme et, tout en poussant des grognements, il entreprit de les diriger vers l’homme blessé.
Ils obéirent. Continue reading →