Dans le cadre des Vases Communicants du mois de février, j’ai éprouvé beaucoup de joie à partager avec Philippe Castelneau, écrivain, libraire, ami en littérature. Nous avons échangé des photographies personnelles et nous avons écrit chacun sur la photo de l’autre.

arbre_Castelneau

Il lui manquait un peu de lumière dans la tête, c’est vrai. Aussi un doigt qui était passé dans la scieuse. Ses mouvements étaient brusques, mal maîtrisés. Parfois il tendait ses bras au ciel comme ça et il souriait. Les gens disaient qu’il était né avec de l’avance, qu’il n’avait pas grandi comme les autres. Garçon puis petit homme. Un mètre cinquante, pas plus. Sa mère n’était pas assez solide pour cette vie, il ne lui était resté que son père qui l’avait toujours laissé faire comme il voulait — à quoi bon l’embêter ? Il l’appelait le petiot.
Sa seule possession au petiot : un couteau — pas question de le lui enlever. Il s’en servait pour manger. Coupait des lamelles d’oignon et des bouts de pain. Quand il avait fini, il essuyait la lame sur sa cuisse et il sculptait des figurines – olivier, chêne, parfois bois de vigne. Des formes humaines toujours. Pour ça il était adroit, il avait de la minutie. Il parlait dans une langue trop ancienne pour être déchiffrée sinon par les gens du cru et par son père qui un jour était tombé dans la vigne. Il avait rampé sous les pampres pour aller s’effondrer au pied de l’arbre, le plus beau de la combe. Mort. Une balle dans la poitrine. Un chasseur à ce qu’on avait dit. L’homme ne comptait pas pour la société, l’enquête avait tourné court et le petiot était resté seul au mas. Pour s’occuper il grimpait dans l’arbre. Son refuge. Au bout de la vigne.
Ainsi juché il voyait venir les étrangers. Il attrapait des lapins avec des pièges, les égorgeait avec son couteau puis les pendait à une branche basse pour éloigner le monde. Des oiseaux aussi quelquefois, juste étouffés dans le poing. D’en haut il voyait bien l’endroit où le vieux était tombé, l’endroit précis. Il y avait enterré une figurine avec une grosse pierre par-dessus et il avait inscrit le nom de sa famille dans le tronc. Même s’il était un peu idiot, ça le travaillait au corps, cette affaire de chasseur. Et puis il s’était mis à sculpter les os des lapins après les avoir sucés. Il les enfilait sur un fil de fer et ça faisait du bruit avec le vent qui traversait les feuilles. Pour distraire le mort, pensait le petiot.

Un jour il avait cueilli des cerises du diable. Il savait que c’était poison, ces boutons noirs, mais ça le tentait et il les avait mangés. Il s’était senti faible alors qu’il était perché. Pris d’hallucinations, il avait perdu l’équilibre, avait chuté, le crâne avait percuté la pierre.
Impact sourd. Le soleil brûlait haut.
Ensuite le sang avait coulé depuis la fissure dans l’os. L’arbre trapu avait bu le sang du père et celui du fils et celui des lapins mêlés aux liqueurs de la terre.

Photographie de Philippe Castelneau©

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Les Vases communicants se déroulent tous les premiers vendredis du mois depuis juillet 2009, à l’initiative de François Bon et Jérôme Denis. Marie-Noëlle Bertrand coordonne les publications et inscrit les futurs échanges sur le blog associé le rendez-vous des vases. Il existe aussi une page Facebook. Aux blogueurs de définir un thème, d’associer images ou son à leur texte et d’écrire sur le blog de l’autre.

Retrouver notre échange sur le blog de Philippe Castelneau Rien que du bruit.

2 commentaires

  1. HELENE OURTIES

    j’ai aimé lire « le couteau », il y avait des images dans ma tête, il y avait ce petit gars, le plein soleil qui plombe l’âme, il y avait la terre et son odeur de garrigue forte, dure, il y avait l’ombre de l’arbre où je vent racontai l’Histoire du lieu. Merci Françoise !

  2. Pauvre petiot, parti trop vite. Déjà il avait dû se battre pour venir et là, inconscient il rejoint son père. Une tragédie pour laquelle tu as trouvé des mots doux qui s’adaptent à la rugosité de l’écorce pour attirer notre attention sur la beauté de l’arbre. C’est un très beau texte, Françoise, merci.

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