Le bougre. Il les tenait en joue.
Pas question de faire les idiots. Seulement montrer sa bonne volonté, donner l’impression de se soumettre en attendant de savoir de quoi il retournait exactement.

Parvenu à leur voisinage, il s’était mis à décrire autour d’eux une sorte de cercle, pas à pas, tout en les dévisageant dans le détail. En même temps il grimaçait, tordait sa bouche. Pour sûr il se méfiait des étrangers et il n’était pas prêt à s’en laisser conter. Mais tant qu’il les tenait sous la pointe de son arme et qu’il les obligeait à baisser le regard, il était tranquille. Il respirait leurs odeurs. Mais on sentait chez lui une certaine dose d’hésitation. Parce qu’il se demandait d’où ces types-là pouvaient bien venir, fagotés comme ça, avec de drôles de couteaux à la ceinture et des outres fabriqués d’une façon qu’il ne connaissait pas.
Bientôt il commença à les frapper à l’épaule avec le canon de l’arme et, tout en poussant des grognements, il entreprit de les diriger vers l’homme blessé.
Ils obéirent.


Dans le mouvement, Riks lâcha quelques mots à l’attention de Clod.
Calme, rester calme, il avait dit. Surtout ne rien brusquer.
Donc ils se concentraient pour n’accomplir que des gestes souples et mesurés pour ne pas augmenter l’inquiétude du chasseur. Il avait tiré une fois, il pouvait recommencer.

Riks qui avait davantage la connaissance du monde, demeurait dans un état lucide, les épisodes vécus renforçant ses instincts et définissant un comportement adapté aux circonstances. Clod, lui, avait du mal à maîtriser ses nerfs, ne pouvait s’empêcher de trembler. S’il tenait le coup, c’est en pensant à Mermel, cultivant cet espoir de le sauver comme une toute petite flamme tenue sous le manteau à l’abri du vent.

Le soleil avait perdu déjà de la hauteur et la falaise étincelait en arrière-plan.
Sous la menace, les deux allaient à reculons, buttaient contre les pierres, s’abîmaient les jambes dans les buissons d’épineux. C’est tout ce qu’ils avaient à faire, respecter les directives de l’homme à la barbe hirsute et aux yeux exorbités qui tenait le fusil.
La scène avait quelque chose d’irréel. De fantastique.
Encore plus quand ils entendirent Mermel râler, tout près à présent, si près qu’ils heurtèrent son corps pareil à une souche d’arbre déposé sur la terre.
L’homme baragouina des ordres en une langue bizarre dans laquelle Riks crut reconnaître quelques sons familiers. En même temps il brandissait l’arme, l’orientant successivement vers eux et vers Mermel. Encore une fois ils obéirent, s’agenouillèrent, le prirent sous les aisselles pour le relever.
T’en fais pas, mon vieux, on va te sortir de là.
Et c’est dans cet équipage qu’ils passèrent l’heure suivante à remonter le cours de la rivière portant leur fardeau sans savoir où ils allaient, sans savoir si la marche s’arrêterait avant le soir, exhortés par les borborygmes du chasseur hirsute, à demi hallucinés, en même temps réconfortés par la chaleur des corps compagnons soudés, animés du même rythme. En vie.

(à suivre)

Illustration : Landscape, photographie de Bona Mangangu

4 commentaires

  1. Là, c’est bien parti pour arriver jusqu’au roman.
    L’image est très belle et le texte bien adapté à celle-ci. Comme toujours… on voudrait connaître la suite. Oui, je sais, c’est le propre des feuilletons mais…..

  2. On vit et respire avec eux. Leurs pas, leurs souffles sont les nôtres.
    On aimerait les rejoindre physiquement dans leur aventure. On se dit, et c’est vrai, que le territoire de l’imaginaire–ici celui du fantastique– l’emporte sur notre réalité parfois triste, fade, sans rebondissements. Alors, on reste les yeux rivés sur Terrain fragile. Heureux de suivre l’équipée de Rick et Mermel, nos compagnons d’évasion. Merci Francoise.

  3. Ma chère Françoise,

    je l’aime bien ce nouveau blog, j’ai une impression d’espace et de clarté. Oui vraiment pas mal !
    Quant à Falaise sans fin, épisode 9, je me demande inquiète, où tu emmènes nos héros… Sont-ils arrivés dans le monde de Cro-magnon armé jusqu’aux dents ou quoi encore…. Quel est ce monde rêvé pour eux où ils rencontrent d’emblée un ennemi ? Tu nous régales d’un texte à rebondissements qui laisse en haleine… vite la suite ma chère écrivaine !
    Bisous à toi ma douce

  4. Si je savais moi-même où je les emmène, les bougres… c’est l’histoire qui les conduit en vérité, et non ma décision. L’histoire nous fait côtoyer les falaises et les torrents, les pierres, le ciel. Je la laisse faire !

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