texte écrit dans le cadre de l’atelier d’été Tiers Livre animé par François Bon. Cette fois il était question de produire de la matière, de décrire des contextes, des décors, sans personnages. En fait, se plier à l’exercice pour être plus fort après !

intérieurs

Un moment pour s’habituer au manque de lumière, persiennes rabattues à cause de la chaleur. Rayonnages bourrés de livres plus ou moins en désordre, bureau massif occupant une bonne part de la surface. Quelques marches à descendre. Un moment pour observer ressentir le décor. Tapis ou non. Tableaux ou non. Bien peu d’objets personnels finalement, de ceux qu’on s’attend à trouver dans un lieu destiné à l’étude ou à l’écriture, au remuement des papiers et des souvenirs : statuettes rapportées de longs voyages, dessins à l’encre, coquillages, tissages, livrets cousus main, petites choses sans valeur chargées de sens – poterie, galet de rivière, tabatière, encrier. Rien de cela, seulement des livres à grosse couverture des cahiers des outils pour écrire. L’ensemble tout à fait immobile.

Sommairement meublée, pour ça oui. Et petite avec ça. Chambre d’une dizaine de mètres carrés dotée d’une fenêtre donnant sur le ciel. Alors presque rien : un lit pas bien grand, une table en bois brut aux rainures sales pour faire la cuisine manger travailler avec une chaise qui ne prend pas de place, un évier minuscule à la fois pour se laver et prendre de l’eau, quelques pièces de vaisselle posées sur l’étagère au-dessus, et dans l’enfilade un genre de recoin fermé par un rideau, de quoi ranger des effets personnels, enfin ce qu’on possède, c’est-à-dire pas grand-chose. Oui mais fenêtre sur le ciel.

Cuisine où s’assoir pour manger quelque chose, prendre un café, bavarder. Cuisine où se poser au sortir du sommeil ou en rentrant d’un long périple. Cuisine avec inévitables appareils ménagers – ceux-ci relativement usagés, simplifiés, datant d’une autre époque mais fonctionnant toujours. Placards pour accueillir une batterie de plats casseroles moules marmites d’une femme qui a fait des milliers de tartes aux pommes, confectionné tant de soupes de légumes et de confitures (prune poire pomme) pour nourrir une famille. La table a été récupérée lors du décès d’une voisine sans héritiers, Yvonne ou Rose, de même quelques verres anciens chipés chez le vieux Maurice. Pas de nappe. Évier trop bas, plan de travail carrelé de blanc – le moins cher. Cuisine d’enfance. Cuisine où demeurer entre rue et jardin, entre saisons, tant qu’il y a de la vie encore.

Ça pourrait s’appeler un grenier, bas de plafond. Sous les poutres en fait. Il y a du fatras, des choses qui ne servent plus à rien. Odeurs indéfinissables, poussière surtout. Madriers, chaises bricolées, vieux vêtements, vieux papiers, livres d’images, lettres ficelées. Odeurs incitant au voyage dans le temps et à l’exploration intime forcément.

Plutôt des lieux anciens qui se manifestent, des lieux sombres emplis de bruits domestiques, frottements au sol, battements de portes, ustensiles de cuisine qui se heurtent au matin quand on fait du café et fait griller du pain. Y pénètrent des bruits et des odeurs de jardin, de campagne, presque jamais urbains. Meubles désuets — secrétaires en vogue dans les seventies, buffets hideux mais commodes pour ranger la vaisselle, armoires en chêne léguées par une vieille tante, postes TV juchés sur des tables roulantes. Lieux à revisiter avant qu’ils ne disparaissent. Et à parcourir cet enchaînement-là de quatre cinq pièces portant des noms liés à leur usage, s’invente un seul et unique espace qui ne palpite que pour soi dans la blancheur d’un ciel de bord de mer qui se propage à la façon d’un courant d’air, alors frôler du doigt l’arête d’un meuble, aller jusqu’à la chambre puis revenir au petit cabinet de toilette repeint il y a peu, passer par la cuisine, comment dire, l’ensemble ne constituant finalement qu’une seule et unique pièce, la maison avec ses bruits familiers et ses odeurs de cire, la maison quoi ! à jamais reliée aux premières années et aux apprentissages — comment a-t-on pu un jour en partir ? –, maison sans aucune envergure ni originalité mais reliée au temps personnel et à certains événements marquants, ouverte aux humeurs de l’océan qui bat et rebat éternellement la côte sauvage.

Photographie : Jim Digritz (unsplash)

6 commentaires

  1. Tes textes (et particulièrement celui-là) font « voir » les choses. De ce fait, mon esprit vagabonde tout autour de ces mots et je suis obligé de repartir en arrière pour reprendre ce que mes yeux ont vu sans l’enregistrer, tandis que j’étais dans mes rêveries. Toujours très évocateur … et poétique!

  2. Marie Claude Morote

    Cet art, le tien, de nous emmener là où le banal, l’ admis, le quotidien, le minimum, le désuet n’ ont aucun relief, aucune accroche pour qui le côtoie, cet art d’ ouvrir à la densité d’ un lieu, à ses détails, à sa noblesse, au respect , à sa part d’ accompagnement d’ une vie ô combien touchante et émouvante en te lisant… Ton regard flaire tous les recoins avec leurs parts d’ histoire.. Merci pour tes cadeaux d’ écriture..

  3. Jacqueline Vincent

    La vie ordinaire… avec les objets désuets qui parlent à la mémoire de nos enfances dans les maisons familiales à bout de souffle, et dont les volets un jour, se ferment définitivement… Un texte teinté de nostalgie devant l’usure du temps et la perte d’un lieu empli de souvenirs…
    Il me parle particulièrement car nous sommes entrain de vider la Maison de SEYSSEL (Ain), où je retrouve cette accumulation de choses inutiles mais qu’il est si difficile de jeter, mutilant la maison ouverte sur le Rhône grondant son désaccord en accompagnant notre peine….
    Jacqueline.

  4. Nyiri Pascal

    Je vis cette lecture comme celle d’un long poème. Passage quasi cinématographique, cinq plans séquence. Et donc habiter l’absence humaine pour choisir celle de l’habitat tel qu’il est, a été et doit rester, ici.
    Et donc beaucoup moins un exercice qu’une danse.
    Pascal.

  5. Rentrée avec toi dans cette maison où grâce à la fenêtre sur ciel j’ai pu apercevoir les objets et meubles , les souvenirs.
    Laisse la porte ouverte afin que d’autres puissent y pénétrer.

  6. Photo magnifique, tout est dans la lumière. Tu nous fais pénétrer dans cet intérieur tout y est petit, sobre, mais il a une âme. Les ustensiles de cuisine ont dû régaler la famille. Chaque objet est choisi parce que fonctionnel d’une autre époque …
    Merci Françoise de nous remémorer cela.

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